Pour des raisons « historiographiques et idéologiques mêlées »1, les frontières entre recherches juridiques, histoire, sociologie du droit et science politique sont longtemps restées étanches – en France plus qu’ailleurs – fermant le dialogue interdisciplinaire et bloquant ainsi l’acculturation du droit aux études de genre2. Le genre est ici entendu comme le concept qui permet de nommer et de penser la différenciation sociale des individus selon des catégories de sexe binaire et hiérarchisée. Cette différenciation sociale produit des inégalités et des discriminations entre les individus.
Pourtant le droit, que ce soit dans sa dimension formelle – les textes juridiques – ou dans ses pratiques, est traversé, comme l’ensemble des phénomènes sociaux, par le genre. Il entérine, produit ou neutralise le genre.
Si quelques travaux pionniers ont amorcé des analyses genrées des pratiques judiciaires, les années 2000 marquent un tournant dans l’éclosion de ce champ de recherche en histoire sociale de la Justice3. Dix ans plus tard, le projet Régine ouvre la voie des études de genre en droit en s’intéressant notamment à la question des pratiques judiciaires4. En 2022, le projet ANR HLJPGenre poursuit la même démarche en histoire du droit5.
Les recherches en études de genre sont donc relativement récentes dans ces différentes disciplines et souffrent encore d’un vide historiographique sur la question du traitement genré des justiciables devant les tribunaux et plus largement dans l’ensemble de la chaine judiciaire.
Aussi, le présent appel à contribution entend fédérer et promouvoir les travaux de recherche sur l’« Analyse genrée des pratiques juridiques et judiciaires » dans le cadre d’un colloque international et interdisciplinaire qui aura lieu à Douai du 1er au 3 avril.
Si l’angle du genre est le fil conducteur, ce colloque s’inscrit dans une perspective intersectionnelle : l’étude des rapports sociaux de sexe sera articulée ou imbriquée avec les effets de leur entrelacement dans ou en concurrence d’autres rapports de pouvoir tels que la race, la classe, l’âge ou ceux induits par l’ordre validiste.
Cette manifestation se situe dans la continuité du premier colloque de l’ANR HLJPGenre, intitulé « Discours juridiques, genre et histoire » qui s’était intéressé aux textes de droit saisis en tant qu’énoncés normatifs, afin d’y déceler la dimension genrée des représentations dominantes. En miroir, et en intégrant les apports de la théorie réaliste du droit qui distingue « le droit des livres » du « droit en action », il s’agit de se pencher sur les rapports entre genre et droit qui s’expriment non plus seulement dans la loi formelle, mais dans et autour de l’arène judiciaire.
Les contributions pourront appréhender l’ensemble de la chaîne judiciaire, de l’initiative des poursuites à l’application de la peine, en interrogeant chaque strate au prisme de l’incidence des rapports sociaux en jeu. Différents contentieux peuvent être étudiés, qu’ils soient marqués ab initio par le genre, comme les violences sexuelles ou les conséquences du divorce, ou qu’ils apparaissent – en apparence du moins – « neutres » : le vol, les crimes et délits politiques, le contentieux pénitentiaire relatif à l’application des peine.... Les biais de genre, de race, de classe... ou l’intersectionnalité de ces rapports de pouvoir peuvent être analysés dans les pratiques des acteur·ices judiciaires, dans les injonctions politiques et sociales qui leur sont faites, ou encore dans l’agentivité des justiciables (c’est-à-dire notamment leurs stratégies face aux biais de genre). Des communications sur les personnes éventuellement exclues de l’institution judiciaire seront également attendues, tout comme des travaux portant sur les conséquences des décisions judiciaires du point de vue du genre.
En ce qui concerne le bornage chronologique de l’appel, il est rappelé que le genre est contingent : il ne revêt pas les mêmes contours ni les mêmes finalités selon le contexte social et culturel de l’époque, alors même que certaines permanences peuvent être observées. La perspective diachronique et l’étude de différentes périodes (Antiquité, Ancien Régime, XIXe siècle, période actuelle) permettra de révéler la dimension historiquement située du genre des pratiques juridiques et judiciaires.
Notre appel à communications sert plusieurs objectifs, dont celui de rassembler et discuter les contributions de collègues dont les recherches portent sur le genre des décisions judiciaires et du traitement des justiciables, en variant les approches disciplinaires (histoire du droit, droit, sociologie, science politique, etc.), les méthodes d’enquête (archives, ethnographie, entretiens, etc.) et les terrains de recherche.
Sont donc sollicitées des interventions relevant du champ juridique – histoire du droit, droit positif, philosophie/théorie du droit, sociologie du droit... –, de la science politique comme de l’ensemble des sciences humaines et sociales – histoire, science politique, philosophie, sociologie, science du langage, psychologie, ethnologie, anthropologie, littérature (liste non exhaustive).
Les travaux des jeunes chercheuses et jeunes chercheurs seront particulièrement appréciés.
En outre, un intérêt particulier sera porté aux communications qui proposent des discussions méthodologiques et épistémologiques pour appréhender les recherches sur le genre et l’intersectionnalité des pratiques juridiques et judiciaires.
Les propositions de communication (entre 1 500 et 3 000 signes) devront être envoyées d'ici le 15 novembre 2024 aux membres du comité d'organisation : Prune Decoux (prune.decoux@univ-artois.fr); Hélène Duffuler-Vialle (helene.duffuler@univ-artois.fr) et Aymeric Mongy (aymericmongy@gmail.com) avec en copie l’adresse générique de l’ANR HLJPGenre : hljpgenre@univ-artois.fr
Call for papers
"GENDER ANALYSIS OF LEGAL AND JUDICIAL PRACTICES (HISTORICAL AND CURRENT PERSPECTIVES)"
Call for papers (AAC) for the international conference HLJPGenre ANR
For various reasons, the boundaries between legal studies, history, sociology of law and political science have long remained watertight, in France more than elsewhere, closing off interdisciplinary dialogue and thus blocking the acculturation of law to gender studies. Gender is understood here as a concept that allows us to name and think about the social differentiation of individuals according to binary, hierarchical gender categories. This social differentiation produces inequality and discrimination between individuals.
However, law, whether in its formal dimension - legal texts - or in its practices, like all social phenomena, is permeated by gender. It ratifies, produces or neutralises gender.
While some pioneering work has begun to analyse legal practices from a gender perspective, the 2000s marked a turning point in the emergence of this field of research in the social history of law. Ten years later, the REGINE project paved the way for gender studies in law, focusing in particular on the question of judicial practices. In 2022, the ANR HLJPGenre project will follow the same approach in the history of law.
Gender studies research is therefore relatively recent in these different disciplines and still suffers from a historiographical gap on the question of the gendered treatment of litigants in the courts and, more broadly, in the legal system as a whole.
The aim of this call for papers is therefore to bring together and promote research on the "gendered analysis of legal and judicial practices" in an international and interdisciplinary symposium to be held in Douai from 1 to 3 April.
While gender studies is the main theme, the colloquium will take an intersectional perspective: the study of social relations between the sexes will be articulated or interwoven with the effects of their intertwining with, or competition with, other relations of power such as race, class, age or those induced by the validist order.
This event follows on from the first colloquium of the ANR HLJPGenre entitled "Discours juridiques, genre et histoire" (Legal discourses, gender and history), which focused on legal texts as normative statements in order to identify the gendered dimension of dominant representations. In parallel, and integrating the contributions of the realist theory of law, which distinguishes between "book law" and "law in action", the aim is to examine the relationships between gender and law as expressed in and around the judicial arena.
Contributions may cover the entire judicial chain, from the initiation of proceedings to the enforcement of judgments. Different types of disputes can be examined, whether they are gendered from the outset, such as sexual violence or the consequences of divorce, or whether they appear, at least superficially, to be 'neutral': theft, political crimes and offences, prison disputes relating to the enforcement of sentences.... The biases of gender, race, class... or the intersectionality of these power relations can be analysed in the practices of judicial actors, in the political and social orders given to them, or in the agentivity of litigants (i.e. their strategies in the face of gender biases). Papers on those who may be excluded from the judicial institution are also welcome, as is work on the gendered consequences of judicial decisions.
The chronological scope of the call includes a diachronic perspective and the study of different periods (Antiquity, Ancien Régime, 19th century, contemporary).
Our call for papers serves several purposes, including that of collecting and discussing contributions from colleagues whose research focuses on the gender of legal decisions and the treatment of litigants, through different disciplinary approaches (legal history, law, sociology, political science, etc.), investigative methods (archives, ethnography, interviews, etc.) and research fields. Contributions are invited from the fields of law - legal history, positive law, philosophy/theory of law, sociology of law, etc. -and the humanities and social sciences in general - history, political science, philosophy, sociology, linguistics, psychology, ethnology, anthropology, literature (non-exhaustive list).
In addition, special interest will be given to papers that propose methodological and epistemological discussions in order to capture research on gender and the intersectionality of legal and judicial practices.
The work of young researchers will be particularly valued.
Paper proposals (between 1,500 and 3,000 characters) should be sent to the members of the organising committee by 15 November 2024: Prune Decoux (prune.decoux@univ-artois.fr); Hélène Duffuler-Vialle (helene.duffuler@univ-artois.fr) and Aymeric Mongy (aymericmongy@gmail.com) with a copy to the general ANR HLJPGenre address: hljpgenre@univ-artois.fr
Abstract
The aim is to examine the relationship between gender and law in and around the judicial arena, with contributions covering the entire judicial chain, from the initiation of proceedings to the enforcement of sentences. Different types of disputes can be examined, whether they are gendered from the outset, such as sexual violence or the consequences of divorce, or whether they appear, at least superficially, to be 'neutral': theft, political crimes and offences, taxation, prison disputes relating to the enforcement of sentences.... The biases of gender, race, class... or the intersectionality of these relations of power can be analysed in the practices of judicial actors, in the political and social orders given to them, or in the agentivity of those being tried.
Contributions are invited from the fields of law - history of law, positive law, philosophy/theory of law, sociology of law, etc. - political science and the humanities and social sciences in general - history, political science, philosophy, sociology, linguistics, psychology, ethnology, anthropology, literature (non-exhaustive list). The work of young researchers is particularly welcome.
Proposals of 1,500 to 3 000 characters (including spaces), in French or English and followed by a short biography, should be sent to the members of the organising committee : Prune Decoux (prune.decoux@univ-artois.fr); Hélène Duffuler-Vialle (helene.duffuler@univ-artois.fr) and Aymeric Mongy (aymericmongy@gmail.com) with a copy to the general ANR HLJPGenre address: hljpgenre@univ-artois.fr